Cela fait déjà quelques années que je réfléchis sur ce sujet. Très peu de gens ont conscience de cette opposition entre ces deux termes que l’on associe régulièrement en Tourisme culturel. Pourtant, les deux disciplines sont totalement opposées l’une de l’autre.

Lorsque je parle de culture, je veux parler essentiellement du patrimoine culturel, de la culture au sens identitaire, celle que nous exposons par le biais du tourisme.

J’ai commencé ma réflexion durant mes années d’université où j’ai pu « vivre » ces deux champs d’études. Le tourisme est enseigné dans le pavillon de l’administration et la culture, le patrimoine et tout ce qui s’y rattache sont enseignés dans le pavillon des Sciences sociales. Si vous vous promenez dans ces deux pavillons de l’Université Laval, vous pourrez déjà constater une différence entre les gens qui les fréquentent. D’un côté, nous avons les étudiants destinés à passer leur vie en tailleur et de l’autre, les bohèmes. Je ne dirais pas que la différence en les deux disciplines est aussi « tranchée », mais assez pour que ce soit le grand déclencheur de ma réflexion. Pour ma part, du côté professionnel et de mon style de vie, je dois vous avouer que je me rattache avec la discipline du Tourisme et des gens qui l’étudient.

Pour vous démontrer le « clash » qui existe entre les deux disciplines, allons-y d’abord par deux définitions.

« La culture est un système de valeur dynamique formé d’éléments acquis, avec des postulats, des conventions, des croyances et des règles qui permettent aux membres d’un groupe d’avoir des rapports entre eux et avec le monde, de communiquer et de développer les capacités créatrices qui existent en puissance chez eux » — Commission canadienne pour l’UNESCO, 1997

« L’ensemble des activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et de leurs séjours dans les lieux situés en dehors de leur environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs ». – OMT

Maintenant, quelle est leur mission respective? La culture a un devoir de préservation, de transmission et d’éducation tandis que le tourisme a plutôt une mission économique combinée à la mission de transmission. Là où ils se rejoignent, c’est essentiellement dans leur devoir de transmission, mais l’un dans un objectif social et l’autre dans un objectif lucratif. C’est justement dans ces approches tellement différentes que la complexité des rapports entre les intervenants des deux disciplines s’intensifie. Le vocabulaire utilisé, les valeurs, les méthodes de travail, etc. sont d’autant plus différents.

Souvent, le niveau de la Culture est perçu comme supérieur au Tourisme, ce qui cause ici un problème majeur. Les deux se blâment de ne pas comprendre les motivations et la mission de l’autre. Prenons par exemple un ancien site grec. D’un côté, on veut préserver le site dans le but de l’étudier ou dans le but de le conserver intact pour les générations à venir et de l’autre, on veut le montrer à tout prix. Plusieurs sites ont dû diminuer ou même stopper le tourisme de masse dans un but de préservation, ce qui est absolument juste, selon moi. Par le passé (et malheureusement encore aujourd’hui), le tourisme a trop souvent été associé à la détérioration et même à la destruction de plusieurs sites culturels, ce qui rend encore plus profond le fossé séparant les deux disciplines. Par exemple, c’est le cas avec les tombeaux égyptiens, l’île de Pâques et la Angkor.

 

Ficus Strangulosa tree growing over a doorway in the ancient ruins of Ta Prohm at the Angkor Wat site in Cambodia

Angkor – Cambodge

 

La culture est un leader du secteur touristique et elle représente souvent une offre majeure pour les régions qui les détiennent. On sait tous que la culture est une des raisons premières qui attire le tourisme international et de ce fait, la culture devient alléchante pour le milieu touristique. Ce que le milieu touristique a du mal à comprendre, ou dirais-je plutôt à accepter, c’est que ce n’est pas toutes les activités culturelles qui sont concernées par le tourisme. Pourquoi? Cela peut être à cause d’un caractère privatif, d’un accès dangereux, d’une fragilité d’un site ou d’un manque d’espace d’accueil. Le gros bout du bâton est généralement tenu par le milieu culturel, car à elle seule, elle vient conférer une dimension identitaire, prestigieuse et intersaisonnière à une destination. En effet, la culture est un marqueur identitaire d’une destination, ce qui tend à la rendre unique. Étant donné que la culture est un levier majeur au tourisme et que le tourisme est à son tour un levier financier pour certaines destinations, il faut inévitablement investir sur le tourisme culturel. Mais avant de s’unir, le tourisme et la culture doivent d’abord et avant tout apprendre à se connaître et à se respecter l’un et l’autre.

On sait que la culture intéresse une bonne partie des clientèles touristiques, mais est-ce que le tourisme intéresse les gestionnaires d’attraits culturels? Le manque de ressources financières pour les organismes culturels représente un frein à la collaboration entre les deux parties et leur méconnaissance envers l’autre provoque de la mésentente. Déjà, ils ne s’entendent pas sur les mots… l’un utilise le terme Organisme et l’autre utilise le terme Entreprise. Le tourisme est une « pratique » et la culture est une « façon d’être ».

La question que l’on se pose tous est : est-ce que le tourisme et la culture pourraient vivre l’un sans l’autre? La réponse est NON! Il est temps qu’ils sachent qu’ils sont complémentaires et qu’ils doivent se supporter pour rester en vie. La solution réside dans un pont qui devra être bâti entre les deux rives et soutenu par des gens qui croient et supporte les deux pratiques.

 

Je lance ici le débat…

 

Anne-Marie Royer